Une magnifique découverte
Encore une dernière touche de dorure et c’est fini ! Cela fait trois années complètes que j’ai confié ce magnifique piano à queue Steinway and son au restaurateur le plus réputé de France. J’ai déniché cette merveille par hasard en Pologne tandis qu’il prenait la poussière dans une grange en pleine campagne. Malgré une enquête poussée, personne n’a pu me dire ce qu’il faisait là. Les propriétaires me l’on cédé sans rechigner, pour eux, il n’était même pas bon à débiter pour le feu, trop de pièces métalliques à trier. Ils ont été soulagés de s’en débarrasser.
La musique, c’est toute ma vie
Je suis pianiste-concertiste depuis plus de trente ans. La Pologne est mon pays natal, mais je vis aux États-Unis. Je voyage à travers le monde pour proposer les plus grands noms de la musique classique à tous les publics. Le succès est là, il me permet de choisir mon emploi du temps. Je vis pour ma musique et le partage avec toutes les personnes qui y sont sensible. Chopin est mon idole et j’aime me perdre dans ses rêveries.
Je dois sauver cette oeuvre d’art
Le choix de l’artisan pour se mettre au chevet de ce piano fut facile. Lechevallier à Saint Lô dans la manche se trouve être le meilleur dans sa spécialité. Le plus difficile fut de le convaincre de se pencher sur le cas de ma trouvaille. D’entrée il m’annonça que les délais seraient longs. Non seulement son carnet de commande est plein, mais l’état de mon protégé n’est pas loin d’être désespéré. Pour lui c’est un défi, il décide donc de le relever.
Il faut ce qu’il faut
Après plusieurs semaines d’observations et de démontages, son verdict n’est pas très optimiste. Le meuble est mal en point, et la mécanique à peine mieux. Cette nouvelle ne m’affole pas, connaissant le bonhomme, le résultat sera exceptionnel. Je lui donne carte blanche sur le budget. C’est vraiment histoire de parler, c’est un artiste et il est compliqué de travailler avec un devis. Si je veux un instrument hors du commun, il me faut tout son talent et surtout qu’il ne soit pas bridé par quelques dollars.
Réparer un piano est affaire de spécialiste
Un soucis technique apparaît. Les flans sont ornés de volutes originales un peu rococo, mais c’est en grande partie ce qui fait son charme. Le problème est que certaines sont absentes et l’équilibre esthétique de l’ensemble est rompu. Tailler des morceaux de décor à l’identique est possible mais ardu. Comme il y a beaucoup de travail, une solution arrivera plus tard. La mécanique est, elle aussi, bien attaquée. Le sommier de la bête doit être changé. Il y a aussi pas mal d’accrocs, mais heureusement, rien qui ne soit à la portée de nos spécialistes. Le travail continue donc et petit à petit, l’instrument reprend sa forme originelle.
Une aide inattendue
Un journaliste de « Ouest France », le quotidien, a vent de cette restauration particulière. Il rédige donc un magnifique article bien documenté où il y expose la difficulté rencontrée avec des formes réalisée dans une résine inconnue. Comment faire pour les recopier ? Le succès apporte une notoriété au piano, si bien que de nombreux saint-lois lui parlent de son chantier. Son voisin, un prothésiste dentaire et musicien à ses heures perdues, est particulièrement admiratif de la restauration. Il traverse la cour qui les sépare et vient s’enquérir des soucis posés par les ornements. L’échange est constructif puisque son métier lui impose de prendre des empreintes de mâchoires en silicone. Cette technique se prête parfaitement à la duplication des fameuses volutes. La restauration avance vers une issue proche.
Le piano reprend vie
C’est le grand jour. Je suis dans l’atelier de ce véritable artiste. L’instrument est encore plus beau que tout ce que j’avais imaginé. Aussitôt, il se lance dans des explications techniques et me montre les détails qui lui ont donné du fil à retordre. Je l’écoute et lui pose des questions pour l’encourager. Je n’ai qu’une hâte maintenant, c’est de l’essayer. Le piano est parfaitement accordé. Il dispose un tabouret. Je m’installe. Les touches d’ivoire un peu jauni glissent parfaitement sous mes doigts. Même si l’environnement n’est pas parfait, le son qu’il produit me ravi. J’en suis ému jusqu’aux larmes et cette émotion semble partagée par tout le personnel présent et les quelques invités.
Je lui réserve une place de choix
J’habite le Michigan, tout au nord des Etat-Unis près des grand lacs à la frontière avec le Canada. Des paysages grandioses se succèdent dans toute la région. Je possède une jolie propriété qui me permet de recevoir des amis et de donner quelques concerts privés. J’affecte une salle spécialement pour mon bijou. Il trônera au milieu d’œuvres d’art de la même époque que lui. Je soigne particulièrement l’acoustique, il faut qu’il puisse donner le meilleur de lui-même. J’ai affrété un container uniquement pour lui. Après un voyage de quinze jours en mer, il doit arriver demain. Je suis impatient.
Un contretemps
Le service des douanes me convoque pour importation de marchandise illégale ? Je ne comprends rien à leur message, je dois me trouver impérativement le lendemain matin à 10 sur un quai au port de New-York. Inutile de vous dire que le lendemain à 10h tapantes, je suis sur mon lieu de rendez-vous. J’ai amené mon avocat par précaution, on ne sait jamais. J’ai bien entendu tous les certificats possibles pour mon piano. Ils prouvent la légalité de ma propriété sur cet instrument inestimable. J’ai quand même un mauvais pressentiment.
Je ne comprends pas ce qui arrive
Il est là et en parfait état, je me rassure. Il resplendit un peu à l’écart des autres objets du commun. Des policiers ainsi que quelques « gros bras » sont présents.
-Reconnaissez-vous être le propriétaire de cette chose ?
-Mais oui, voyez tous ces papiers, il est parfaitement en règle.
-Oui, je vois, il date de 1885
-C’est exact, une véritable pièce de musée.
-Nous avons estimé le poids de l’ivoire contenu dans le clavier, il représente presque 350 grammes, je vous rappelle la réglementation. Il est formellement interdit d’importer de l’ivoire. Une dérogation existe si l’ivoire contenu dans l’objet fait moins de 200 grammes. Votre piano ne satisfait pas à cette règle, nous devons donc le détruire.
-Comment ? Vous n’y pensez pas, c’est une œuvre d’art, vous n’avez pas le droit !
-Mesurez vos paroles ! Nous allons procéder immédiatement à la destruction en votre présence.
C’était pourtant un très joli piano !
Aujourd’hui encore, lorsque je revois la scène, les larmes me montent aux yeux. Deux malabars se sont approchés avec chacun une masse à la main et se sont acharnés sur lui sans aucune état d’âme. Mon avocat a tenté d’intervenir en annonçant que les objets de plus de cent ans rentrent dans la catégorie des œuvres d’art et, à ce titre, elles font parties également des dérogations sur l’importation de l’ivoire. L’employé des douanes a acquiescé et nous a demandé de faire cette réclamation par écrit, ainsi une réponse nous sera apportée sous un mois… Ils brûlèrent les débris pour être certain qu’aucun ivoire ne subsistait. Les parties métalliques allèrent au recyclage. Quand j’informais M. Lechevallier, l’artisan restaurateur, il eut simplement ces mots : « Les États-Unis sont un pays curieux que j’ai parfois du mal à comprendre ».
Ami lecteur, cette histoire se rapporte à un fait réel. Gilles Lechevallier m’a aimablement permis de visiter son atelier et j’ai pu admirer le joli piano dont il est question dans cette histoire. Que penses-tu de la loi américaine contre le commerce de l’ivoire ?
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