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Je suis un pommier dans un pré bien exposé et je me sens bien. J’ai souvent la compagnie des vaches Normandes du propriétaire de la parcelle. J’adore leurs bouses, une véritable cure d’engrais déposés juste au-dessus de mes racines, un véritable régal. Je ne suis pas le seul à le penser, mes compagnons et moi rivalisons d’astuces pour les attirer au plus près de nous. Enfin pas trop près non plus, car certaines de ces bêtes à cornes n’hésitent pas à grignoter notre écorce et on peut se retrouver nus ! Compliqué pour se rhabiller. Heureusement, nous sommes tous équipés d’un corset de protection.
Mangez des pommes !
La principale méthode pour les allécher, consiste à leur offrir des belles pommes bien juteuses. Je possède sur le sujet un petit avantage sur mes voisins, je produis des pommes à couteau. La plupart des autres ne font que des pommes à cidre. Ces dernières, riches en tanins, ont un goût amer, ce qui ne plait pas beaucoup à ces dames. Les miennes, plus douces, flattent leur délicat palais. Mais l’idéal pour les convaincre, est de réussir à planquer, dans les hautes herbes, quelques pommes qui ont le temps de pourrir un peu.
De la pomme au calva
Quand ces bovidés reviennent paître autour de nous, il s’engage alors une véritable chasse aux objets cachés. Elles viennent au plus près et reniflent pour découvrir l’objet de leur convoitise. En effet, chacune des pommes en décomposition commence à fermenter et le sucre contenu dedans, devient de l’alcool. Une véritable beuverie s’ensuit, une compétition avec quelques coups bas s’engage pour les plus addictes. Je pense que certaines, surtout Marguerite ma préférée, doivent avoir l’impression de capter CANAL + sans décodeur avec leurs cornes le lendemain matin, tellement ça doit être brouillé dans leur tête.
Tracteur contre pommier
Cela fait plusieurs mois qu’aucune de nos copines n’est venue nous rendre visite, curieux ! Quel est ce personnage avec son tronc à trois pieds ? Il se promène partout en plantant des piquets. Puis, le drame arrive. Un tracteur, muni d’un bras replié, débarque dans le pré. Rien d’exceptionnel, mais son attitude est bizarre. Soudain, l’homme au volant a-t-il abusé de pommes fermentées, mais, au lieu de zigzaguer entre nous, il fonce délibérément sur le pommier situé juste à côté de moi et l’arrache. Il traîne sa dépouille jusqu’à la haie bocagère qui nous protège des vents dominants. Il recommence avec mon autre voisin ! Tout l’après-midi, il continue son carnage !
Je suis un pauvre pommier solitaire
Tchernobyl, voilà à quoi me fait penser le spectacle de désolation de la fin de journée. Les cadavres s’entassent sur le bord. Je reste le seul rescapé de ce massacre, tel un survivant d’une apocalypse. L’individu, auteur de ces atrocités, se dirige maintenant sur moi avec une tronçonneuse à la main. Va-t-il me découper tout vivant ? Pire qu’une coupe au bol, il ne me laisse que quatre branches sur le haut du tronc, j’ai perdu toute dignité ! Ensuite, il creuse un grand trou à quelques mètres de moi. Quelle idée de torture a-t-il encore derrière la tête ?
Déménagement
Il s’approche de moi avec le tracteur et en déplie le bras. Il racle le sol tout autour et, dans un élan, il enfonce profondément le godet du bras juste sous mes racines. Que m’arrive-t-il ? je bouge sans qu’il y ait du vent ! Il me porte ainsi jusqu’au trou où il me dépose délicatement. Puis, il remet de la terre autour de moi et utilise son bras pour tasser. Mon point de vue vient de changer, jamais je n’aurai pu imaginer que ça m’arrive un jour. Je suis encore debout vivant, mais, complètement estropié. Je ne comprends pas du tout ce remue-ménage.
J’aurai pu être enfermé !
Au bout de quelques mois, la réponse arrive. D’autres engins interviennent et retirent toute la terre de mon ancien emplacement et agrandissent le trou. Ils construisent une butte énorme, plus grande que moi. Puis une toupie de béton vide son chargement dans les tranchées créées. Des matériaux de différentes natures sont déposés près de moi. Après un ballet de plusieurs personnes, une maison surgit de terre. Heureusement qu’ils m’ont bougé, je n’aurais pas supporté d’être enfermé, même si des portes-fenêtres énormes, permettant de voir le jardin, équipent cette bâtisse.
Marguerite, où es-tu ?
Je me remets difficilement de toutes ces épreuves. La première année je n’ai pas réussi à produire une seule pomme. Plus aucune vache ne vient me rendre de visite. Finies les bouses odorantes qui m’aidaient à produire les plus belles pommes du pré. Maintenant, je dois me contenter du pipi du chien de la maison qui adore lever la patte sur moi. Je m’ennuie un peu, Marguerite et son ivresse n’est plus là pour me distraire. Je me souviens encore très bien cette anecdote. Parce que tous les samedis soir, les occupants de la maison ont le même comportement qu’elle. Ils titubent sans avoir pourtant mangé une seule de mes pommes pourries !
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