La galerie n’en finit pas. Il fait complètement noir et le boyau est étroit. Je rampe depuis 10 minutes vers la sortie. Elle est devant moi, un léger courant d’air me parvient. Tout à coup, je stoppe ma progression, une odeur alléchante m’attire sur la droite. J’hésite, j’ai horreur des courants d’air mais mon petit déjeuner est assez loin. La mission avant tout, je progresse vers la sortie, il sera toujours temps de revenir sur mes pas tout à l’heure.
Une attaque en règle
Je me nomme bulldozer, je suis une taupe en pleine forme et je pratique mon activité favorite, le percement de tunnels. On m’aurait laissé faire, j’aurai creusé celui sous la Manche sans problème, ma vitesse de progression est spectaculaire. Malheureusement pour moi, avec l’aide de machines énormes, des hommes ont déjà accompli ce défi. Je réfléchis donc à un autre projet encore plus ambitieux, retourner complètement cette magnifique pelouse gorgée de vers de terre succulents.
Un locataire encombrant
« Regarde Fabienne ! Ce n’est pas possible, il y a encore un nouveau monticule ce matin ! Avec tous les chats qui traînent dans le quartier, ce n’est pas croyable d’avoir des taupes qui nous ruinent notre pelouse ! » Il n’est pas question que je laisse faire cette sale bestiole sans réagir, je dois trouver un plan d’attaque. En attendant, je minimise l’impact visuel en étalant ces affreux tas. J’essaie, tant bien que mal, de faire resurgir l’herbe enfouie sous cette terre qui semble tamisée. J’aperçois un de ses trous de sortie. Si je la vois pointer le bout de son museau, elle passera un sale quart d’heure.
En plein chantier
Je ressens quelques vibrations. Il doit y avoir quelqu’un dehors à m’attendre. Je ne suis pas pressé à l’abri ici, je reboucherai la sortie un peu plus tard. Une petite sieste s’impose, j’ai justement creusé une cavité un peu plus grande pour cette éventualité. Quelques petits aménagements supplémentaires sur ma galerie principale m’occupent un bon moment. Maintenant, il est temps de combler l’accès sur la surface, les courants d’airs m’horripilent. Pendant que j’y suis, je creuse une nouvelle galerie pour la chasse, tous ces exercices m’ont donné faim. Je sais que je n’aurai aucun mal pour débusquer un lombric bien juteux.
Une si belle pelouse
« Ce n’est pas possible, cette vilaine taupe continue de ruiner ma pelouse. Non seulement elle a reformé une partie des taupinières que j’ai étalées hier, mais elle a refait un monticule supplémentaire, quelle plaie ! » « Calme toi, ce n’est pas si grave, cette taupe ne fait que son métier, elle ne t’en veut pas personnellement ! » « Moi, je vais faire mon métier de super prédateur, pour commencer, je regarde sur internet comment on fait pour s’en débarrasser. » C’est fou le nombre d’articles consacré à ce sujet. Certaines images me soulèvent le cœur, on y voit des pelouses dévastées par ce nuisible. Je m’imagine un véritable champ de mine juste sous ma fenêtre, cela ne peut plus durer, à l’attaque !
La vengeance
Je me régale, il y a tellement de nourriture que je pense faire venir mes collègues de coin. Ma spécialité, c’est de partir en éclaireur et quand un coin est favorable, je rameute la troupe. Cela faisait un moment que je voulais venir ici, on m’a dit que le propriétaire de la maison avec cette si belle pelouse, travaille comme ingénieur dans les travaux souterrains, un collègue quoi, il a participé au chantier du tunnel sous la Manche. C’est donc un double plaisir de massacrer son gazon, à cause de lui, mon défi originel n’existe plus.
Des techniques diverses
Cela fait maintenant deux mois que le massacre a commencé ! J’ai tenté pleins de trucs différents pour faire fuir ces intrus. Son plan, pour la défiguration systématique de mon jardin, se déroule sous mes yeux. Tout est dévasté, on se croirait à Verdun pendant la grande guerre. Parmi les techniques proposées, aucune ne semble fonctionner : Uriner systématiquement sur les taupinières, il y en a tellement que même en buvant un pack de bières par jour, je n’arrive pas à suivre ! Mettre des émetteurs à ultrasons, il y en a un qui s’est même retrouvé sur le haut d’un monticule ! Les pièges, mon sol en est truffé et aucun n’a fonctionné. Des bouts de verre dans les galeries parce que ces bestioles seraient soi-disant hémophiles, en fait j’ai failli aller à l’hôpital après m’être entaillé la main ! Même mon chat ne fait rien ! Que faire pour faire fuir ce locataire encombrant ?
Je suis chez moi !
Ah l’idiot ! Il se figure qu’avec toutes les actions ridicules qu’il entreprend, il va réussir à me faire fuir d’un garde-manger si garni, il rêve ! Je pense rester peut-être quelques années, c’est si bon de se sentir apprécié. Depuis le début de soirée, il y a comme un sifflement continu très désagréable. Loin de s’arrêter, il persiste et je trouve que la température baisse bizarrement. D’habitude, quand il fait un peu froid, il suffit de creuser un peu plus profond et le tour est joué. Au contraire, plus je m’enfonce, plus le bruit est strident et la température baisse de plus en plus. Que se passe-t-il ?
Une reddition ?
« Fabienne ! Fabienne ! Regarde il n’y a aucune nouvelle taupinière ce matin ! » L’ensemble de ma pelouse n’est pas beau à voir mais j’ai la nette impression qu’il n’y a plus de nouveau dégât. Les jours qui suivent confirment ce fait, l’ennemi semble avoir fui. Même si je ne comprends pas la raison de cette victoire, je célèbre l’événement. Après réflexion, je pense avoir trouvé la raison de cette reddition inattendue. Elle coïncide avec la mise en marche de mon chauffage. Un dispositif de géothermie alimente en calories notre maison. Des serpentins avec un gaz sous pression circulent sous terre, à 70 cm de la surface, et pompent la chaleur du sol pour la transporter à l’intérieur. Ainsi, mon voisin qui n’est pas équipé de ce système, va avoir la joie d’accueillir mon ancien locataire encombrant.
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