Comme par hasard
C’est l’heure de sortir la poubelle. J’attrape le sac parfaitement ficelé et j’entame ma descente vers le local prévu à cet effet. Là, le hasard, une jolie surprise m’attends, je croise la voisine du dessous. Elle est très avenante et, ce qui ne gâche rien, célibataire ! Pour tout vous dire, le hasard n’est pas total, j’ai repéré quelques unes de ses habitudes et je m’arrange pour me synchroniser avec elle. C’est ainsi que le mardi et le jeudi, je descends vider mes ordures en même temps. Je pense qu’elle n’est pas dupe de mon manège, mais elle joue le jeu et une conversation commence.
Le casse noisettes !
Nous devisons ainsi depuis à peine deux minutes quand le casse-pied du premier étage arrive. C’est un bellâtre que se croit irrésistible. Nous feignons de l’ignorer et poursuivons notre agréable échange. L’autre, sans y avoir été invité, s’immisce dans notre conversation. Par pure politesse, nous l’écoutons, mais il ne nous apporte rien d’intéressant et je n’attends qu’une chose, c’est qu’il dégage vite fait. Heureusement pour moi, son épouse le surveille et nous l’entendons l’appeler pour savoir ce qu’il fait. Sans demander son reste, il part la queue entre les jambes. Je respire mieux, toujours à mettre son grain de sel celui-là !
Le grain de sel
En remontant vers mon appartement, je me pose une question : pourquoi me suis-je dit qu’il mettait son grain de sel ? Il n’est pas descendu la salière à la main ! Il ne nous a pas jeté des poignées de gros sel pendant que nous discutions ! Le plus mystérieux, c’est que mon adorable voisine a dit la même chose que moi. Il ne me semble pas non plus qu’il travaille dans une saline ! En plus, les propos qu’il nous a tenu étaient plutôt fades et manquaient de sel. En tant que marchand d’histoires, je dois mener l’enquête pour trouver d’où vient ce grain de sel !
Le chef de la sûreté de Paris
Nous sommes le 29 septembre 1818 à Paris, François Vidocq, soucieux, rabroue ses adjoints. Une bande bien organisée s’est spécialisée dans le rapt de linge propre. Ils repèrent une blanchisseuse qui revient du lavoir municipal avec sa brouette et, lorsque sa lessive bien nettoyée elle regagne son domicile, ils lui volent tout son chargement. C’est une affaire prioritaire, ils ont osé s’en prendre à la lingère du préfet de police, si bien qu’il n’a plus un slip propre à se mettre, il est furieux et envoie donc sa meilleure équipe sur le coup.
Une aide précieuse
Vidocq prends cette affaire très au sérieux. Il décide d’organiser un traquenard pour aboutir à une arrestation rapide. Son équipe réunie, il leur expose son plan. Il leur demande juste de faire attention de ne pas alerter Auguste Lesaulnier afin de pas l’avoir dans les jambes. Un homme assez sympathique mais qui devient vite très collant. Il se croit génial et son rêve est d’intégrer l’équipe de ce chef de la sûreté atypique. Il pense savoir beaucoup de choses et veut en faire profiter la police et ainsi les aider pour l’arrestation des malfaiteurs.
Auguste Lesaulnier
Depuis tout petit, il aime intervenir dans des conversations qui ne le regarde pas et ajouter des commentaires qu’on ne lui a pas demandés. La plupart des gens ne lui en veux pas, en effet, il n’a pas vraiment toute sa tête. Tout le monde le trouve lourd mais « gentil ». On ne s’attaque pas à quelqu’un dont quelques facultés brillent par leur absence. Ses connaissances n’hésitent pas à dire : » il a un grain Lesaulnier ! ». Je me vois obligé d’interrompre ici mon récit pour expliquer à ceux qui ne le savent pas encore qu’un saulnier est une personne qui, à l’époque, extrait du sel. Si bien qu’à l’arrivée on dit : « il a un grain de sel ! »
L’appât
Reprenons au moment du piège tendu aux kidnappeurs de linge propre . Auguste se trouve plus ou moins malgré lui en plein milieu de l’intervention. Il remarque une jolie lavandière qui circule avec sa brouette pleine de linge immaculé. Toujours sensible au charme féminin, il tente une approche subtile pour profiter du moment présent. Plutôt beau garçon, il bénéficie d’un succès certain, mais souvent éphémère quand elle se rendent compte qu’il a « un grain de sel ». Là, la magie n’opère pas, tout simplement c’est elle qui sert d’appât à Vidocq pour coincer les membres du gang et elle a autre chose à penser en ce moment.
Les caleçons propres sauvés
A ce moment précis, les bandits sautent sur la lavandière et cherchent à s’emparer de sa cargaison. Il ne peuvent pas résister à la blancheur, même en pleine lumière, de ces draps et autres caleçons. Le sang d’Auguste ne fait qu’un tour, il s’interpose pour défendre la blanchisseuse agressée. Face à cette bande, il ne fait pas le poids mais heureusement pour lui le piège se referme et ils sont tous capturés. Vidocq sermonne le pauvre Auguste : » Tu aurais pu faire rater toute l’opération. Toujours dans nos pattes alors qu’on est prêt à intervenir, tu as vraiment un grain Lesaulnier ! un grain de sel ! »
La notoriété
Un journaliste qui passait par là, toujours à l’affût d’un scoop reprend la formule et publie de façon un peu déformée, ce qui pourtant n’arrive jamais à un journaliste qui se respecte, un gros titre disant : « Vidocq démantèle le gang des serviettes propres malgré un grain de sel ». C’est ainsi qu’Auguste Lesaulnier passa à la postérité malgré lui et qu’on emploie l’expression mettre son grain de sel pour quelqu’un qui intervient sans qu’on lui ait demandé et souvent pas à bon escient.
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