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Que le spectacle continue !
« Show must go on ». C’est vrai mais parfois c’est quand même un peu compliqué. Je suis dompteur de tigres au grand cirque de l’amirauté. La réputation de mon spectacle dépasse les frontières, depuis plus de quinze ans déjà que mon numéro est au point. En réalité il change très souvent, les tigres ne sont pas simplement des gros chats. Quand vous êtes confronté au plus grand carnivore terrestre, il faut parfois rester humble. Contrairement à ce que l’on croit, tigres et lions sont assez différents à dompter. Le grand félin rayé est, par nature, un animal solitaire, le forcer à collaborer avec ses congénères n’est pas dans ses habitudes.
De jolies petites bébêtes.
Nous sommes stationnés à Saint-Lô, ne me demandez pas où cela se trouve, je n’en sais rien. Les tournées nous obligent parfois à s’arrêter dans des patelins que personne ne connaît, à part peut-être les habitants eux-mêmes. Après renseignement : c’est la préfecture de la Manche, pas étonnant que je ne connaisse pas. Mes animaux eux, viennent directement de Sibérie, c’est ce que je dis au public qui vient m’acclamer, c’est pourquoi ils ne sont pas très dépaysés question température aujourd’hui. En réalité, c’est un zoo allemand qui me fournit, ces spécimens sont magnifiques mais un peu fragiles.
La garde rapprochée
Je rentre dans la cage avec neuf tigres. Mon métier est de me faire respecter d’eux. Ma méthode se base sur l’écoute, l’empathie, mais le fouet reste indispensable. Pour survivre, il me faut du soutien. Je ne peux pas conduire toute une représentation en surveillant tous ces minous qui seraient trop heureux de m’emprunter un bout de ma cuisse ou de mon bras pour un en-cas. J’ai donc mis en place une garde rapprochée. Ce sont deux anciens avec lesquels j’ai tissé, au long de ces années de dressage, des liens particuliers. Pendant le spectacle ils m’encadrent et montrent les crocs à leurs camarades pour leur signifier « pas touche ».
Il y a toujours un hic
Je viens de faire le tour des cages et justement sur mes neuf bêtes, deux sont malades, impossible de les faire travailler. Pour arranger le tout, une se trouve être ma bodyguard préférée, Sultane (oui, je sais, ce n’est pas très original, cependant c’est son nom !) Elle tient à distance depuis des années même les mâles les plus entreprenants, je pense qu’elle a un béguin pour moi. Je l’appelle d’ailleurs mon assurance santé, meine krankenversicherung. (En plus je suis obligé de leur parler en Allemand vu leurs origines). Je pense que mon épouse est un peu jalouse de cette tigresse, pour un peu c’est elle qui sort les griffes si elle me surprend trop longtemps dans la cage avec Sultane.
Le spectacle d’abord
Donc, comme je le disais au début de cette histoire : show must go on. Malgré mon expérience, j’ai une certaine appréhension, Sultane va me manquer. Je viens en plus d’intégrer à la troupe un jeune mâle un peu trop agressif à mon goût. Je ne vais pas me défiler, même les saint-lois ont le droit à la crème des dompteurs dans un numéro de classe internationale. Le directeur ne m’a pas demandé mon avis, ces braves normands sont venus en masse pour garnir nos gradins ; je ne peux pas les décevoir.
Tout se passe comme prévu
J’ai bien eu tort de m’inquiéter, tout se déroule exactement selon ma volonté. Les figures évoluent pour garder une symétrie dans les déplacements. Mon numéro touche à sa fin et j’ai déjà fait sortir cinq tigres de l’arène. Ils ne sont plus que deux. La dernière partie du spectacle consiste à ce que les deux félins se croisent entre mes jambes au même moment, tandis que je suis en équilibre entre des tabourets. Une complication réside que je ne peux les voir en même temps et c’est toujours problématique. Pour tout dire, j’ai minimisé les risques, il ne reste plus auprès de moi que mon bodyguard en second et une femelle un peu pataude, dans une minute tout sera terminé.
Le félin félon
L’impensable se produit, c’est justement le second membre de ma garde rapprochée qui attaque dès qu’il se trouve dans mon dos. Il passe à peine entre mes jambes, qu’il effectue une volte-face suivi d’un bond jusqu’à mes épaules. Lui qui, pendant les numéros, a du mal à décoller de quelques centimètres, je pense qu’il me joue la comédie depuis longtemps. Je me retrouve à terre, le nez dans la sciure. Il entreprend de me retourner pour me saisir à la gorge. Ma dernière heure arrive, je ne vois plus rien et la douleur est atroce. Un sifflement soudain retentit accompagné d’un nuage de fumée. Mon épouse armée d’un extincteur se précipite dans la mêlée et met en fuite le félin félon. Elle m’exfiltre illico et me sauve la vie.
Je savais que j’avais épousé une tigresse indomptable, je me rends compte aujourd’hui qu’elle fait partie depuis toujours de ma garde rapprochée.
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