Du monde pour la signature
Quinze personnes sont dans ce bureau. Il a fallu réquisitionner les chaises de la salle d’attente pour que personne ne reste debout. En plus de la promiscuité, l’ambiance est un peu électrique. Nous sommes dans le bureau du notaire d’une petite commune littorale pour la signature l’acte définitif du changement de propriétaire.
Tous les protagonistes sont là
Les acquéreurs sont trois, la mamie qui finance l’opération est accompagnée du gendre et de sa fille. Ceux qui augmentent la population de l’étude notariale aujourd’hui sont les vendeurs. Coup double pour eux puisque c’est également l’occasion de régler la succession. Il n’en manque pas un et ce sont dix personnes qui se tassent devant le bureau. Je remarque aussitôt qu’il y a au moins trois clans parmi eux, ils ont décidé une trêve pour l’occasion. Je suis moi-même sur le côté pour assister à la représentation en tant que négociateur du bien pour le compte de mon agence.
Mauvaise foi et larme de crocodile
L’homme de loi entame donc la lecture de son acte sans se soucier particulièrement de la foule présente. L’état-civil des vendeurs provoque le premier incident, l’ordre des âges n’a pas été respecté et aussitôt, Odette qui se sent exclue, manifeste sa désapprobation. Le ton monte un peu mais Michel, l’ainé du groupe, rétabli l’ordre et la lecture continue. Pour la désignation du bien, Robert, le sentimental, verse sa petite larme et assure aux acquéreurs les merveilleux moments passés dans la maison. Un brouhaha s’en suit, tous tiennent à en rajouter sur le sujet. Les acquéreurs assurent à tous qu’ils ont eu un coup de cœur et qu’ils prendront grand soin de la longère. Objectivement elle n’a rien d’exceptionnel et elle est surtout en très mauvais état, je ne suis pas certain que les héritiers aient beaucoup donné de leur temps pour améliorer les conditions de vie de leur mère défunte.
Attention nous commençons à parler d’argent
Un des moments clé du spectacle arrive avant le signature, nous allons parler d’argent. Le prix obtenu pour la bicoque est de quatre-vingt-six mille euros. Manifestation cette fois-ci de René, l’analyste du marché immobilier, qui estime que vraiment les prix ont chuté et que pour une splendeur en pierres proche de la mer, ce n’est pas cher payé ! Michel le rappelle à l’ordre, une offre a été acceptée, on n’en parle plus. Après quelques bougonnements, il rentre dans le rang.
Chacun fait son compte
C’est qu’ils sont tous en train de faire une division dans leur tête, pour dix personnes, leur part est de huit mille six cents euros. Cela permettra qui de changer sa voiture, qui de refaire sa clôture. C’est toujours bon à prendre. Le notaire accélère un peu son discours, avec toutes ces interruptions, nous risquons de déraper sur l’horaire. C’est à ce moment-là qu’il dit une phrase qui paraît anodine, noyée dans toutes les informations, mais qui va modifier l’ambiance de façon spectaculaire.
Qui paie ses dettes s’enrichi !
« Concernant l’aide sociale dont a bénéficié votre maman, les services sociaux départementaux m’ont adressé la note de quatre-vint-un-mille-trois-cents euros » et il embraye sur le point suivant. Il leur faut environ un paragraphe complet avant de réagir. Michel se lève soudainement et demande au notaire ce que signifie cette phrase sur l’aide sociale. Le notaire s’exécute, relit la phrase et leur annonce sans aucune émotion que la somme sera retenue sur le prix de vente afin de rembourser des prestations perçues. Les progrès en calcul mental sont instantanés, il ne reste donc plus que quatre mille sept cents euros à distribuer soit quatre cent soixante-dix par personne.
Tout le monde s’entendait si bien
Le volume sonore devient à la limite du supportable. C’est un tollé, pourquoi ne les a-t-on pas informés plus tôt, c’est vraiment injuste, l’argent va toujours aux mêmes, … et une foule de réflexions qui ne grandissent pas l’humanité. Michel attrape même son téléphone et appelle un mystérieux correspondant sensé résoudre leur problème. Bref, il faut environ quinze minutes pour que le calme revienne. Par soucis de déontologie, je vous épargne les réflexions qui ont fait voler en éclats la belle entente autour des quatre-vingt-six mille euros.
Le cœur n’y est plus
La lecture de l’acte s’achève et la cérémonie des paraphes et signatures commence. Avec autant de personnes c’est assez laborieux mais patience et longueur de temps, on arrive enfin à la remise des clés. Habituellement, les sourires et mots de bienvenue sont de mise. Une petite réflexion gentille pour l’agent immobilier qui a facilité la transmission du bien est de rigueur. Aujourd’hui l’ambiance n’y est pas et c’est pratiquement sans un mot que chacun regagne son logis. Dommage qu’une si belle entente de départ se désagrège sur une histoire d’argent, eux qui n’étaient pourtant pas intéressés.
Ami lecteur Que penses-tu des occasions qui permettent de se remettre en bons termes avec sa famille ou ses amis ? toutes les occasions sont-elles bonnes ? J’attends tes commentaires
Soyez le premier à commenter on "Signature notaire et soupe à la grimace"