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Les saucisses rouges dans l’assiette
Encore un dîner qu’il faudra vite oublier. Comme tous les jeudi soir depuis le début de l’année scolaire, la cantine de la pension nous propose ces affreuses saucisses rouges. Nous sommes en 1969 et dans ces années, on ne rigole pas avec la nourriture. Tout ce qui est déposé dans ton assiette doit être obligatoirement mangé. La tolérance gaspillage est nulle. Pour bien appliquer le règlement, le pion de service navigue entre les rangs afin de détecter d’éventuels fraudeurs. Il y en a toujours un qui, ne supportant pas cet infâme boudin écarlate, est tenté de le glisser dans une poche et de le faire disparaître à la première occasion.
Gare aux intempéries
Nous sommes en plein mois de décembre et les températures extérieures battent des records de froid. Notre internat, il faut le reconnaître, est bien chauffé. Les vacances de Noël sont pour demain soir, nous avons tous hâte d’y être. La perspective de cadeaux est bien entendu alléchante, mais échapper à cette institution scolaire catholique reste la première motivation. Certains bruits circulent, la neige qui tombe en abondance bloque toutes les routes et nous risquons le confinement jusqu’au dégel, l’horreur !
Le pion nous surveille
En attendant, ce sont quarante-deux enfants qui, devant leur assiette, espèrent je ne sais quel prodige pour échapper à la torture des saucisses rouges du jeudi. J’oubliais Francis. J’ai toujours du mal à comprendre comment il fait pour trouver cette charcuterie cramoisie bonne ? Je mets à profit cette aberration de la nature pour tenter de lui refourguer la mienne, mais le garde chiourme veille et toute téléportation d’une assiette à une autre est quasi impossible. Ce repas est toujours le plus long de la semaine.
Il fait noir
Sans aucun préavis, nous sommes plongés dans le noir. Nous l’apprendrons plus tard, les câbles électriques alourdis par la neige et les pluies verglaçantes, ont cédé. Passé un moment de stupeur, une clameur, mais surtout un raclement de chaises, retentit. Des cris et des bruits d’impacts proviennent de la table située sur l’estrade où le surveillant se tenait au moment de la coupure. La lumière revient. Le groupe électrogène, voyant que la source principale de courant ne se rétabli pas, décide de se mettre en marche.
La vengeance
Nous découvrons alors l’horrible spectacle. Sans aucune concertation, tous les écoliers présents ont profité de l’anonymat temporaire octroyé par les intempéries, pour lancer, avec un geste de soulagement, leur saucisse rouge. La cible fut la même pour tous ; le pion. Il est maintenant hagard, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il est maculé de cette couleur qui résiste à tout lavage. Seul Francis fini sa dernière bouchée, surpris qu’on puisse gaspiller un mets aussi délicat.
Il faut savoir faire évoluer des habitudes
L’affaire fut étouffée. Une telle rébellion aurait dû être matée avec la plus extrême sévérité, mais l’imminence des congés de la nativité nous a sauvés. Une telle coordination relève du surnaturel, cette constatation a ébranlé l’institution. Dieu est avec nous et les saucisses rouges furent définitivement abolies à partir de ce moment. Il y a des miracles qui ne seront jamais révélés au public. Heureusement, tu a lu cette histoire qui vient de te le dévoiler, tu pourras maintenant le raconter.
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